(Réédition du 06/10/10)
Pour les fidèles lecteurs(trices) de ce blog, nous avons déjà établi qu’il y a des moments marquants dans la vie d’une lectrice. Des livres qui vous accompagneront jusqu’à la fin de votre vie, tant vous pouvez dire qu’il y a eu un avant et un après. Aucun livre ne m’a fait autant d’effet que celui dont je veux vous parler aujourd’hui.
J’ai trouvé mon Saint-Graal chez un bouquiniste miteux, un soir de mars. L’harmonie sans fausses notes de la couverture a, à elle seule, suffit à me séduire. Admirez, sur l’image ci-jointe, ce couple en ombres chinoises où l’on devine le mulet de l’homme ET de la donzelle qui lui faisait face, cette splendide voiture gris souris de marque indéterminée se la jouant bolide des années 70 (j’hésite entre Starsky et Hutch et K2000), ce tramway grimpant péniblement une rue escarpée, cette femme voilée (ah non, pardon elle porte juste un poncho sur la tête) dissimulant sa célébrité (ou sa honte d’apparaître en si mauvaise compagnie) derrière des lunettes noires, et surtout, ce tas informe couleur drapeau américain avec 3 roses posées dessus (là, j’ai beau chercher je n’ai toujours pas compris ce que c’est supposé représenter).
Oui oui, tout cela pour la couverture de « San Francisco, après l’orage », le livre le plus délicieux qu’il m’ait jamais été donné l’occasion de lire.
Cette petite perle de littérature a d’ailleurs été délicatement annotée de ma blanche main, et de celles qui ont eu le courage de s’y risquer après moi (et je constate que je suis la seule à être allée jusqu’au bout, je ne comprends pas pourquoi…). Voilà un livre qui étale sur 150 pages épouvantablement mal écrites/traduites (j’ai compté, rien que pour les adverbes, en moyenne, 3 par page, 27 différents recensés – imaginez les redondances) une histoire parfaitement ridicule. Si vous aimez les héros grossiers et machos et les héroïnes si stupides qu’on les pousseraient bien sous un bus – ou un tramway, une voiture, un cheval, un vélo même pourrait faire l’affaire si cela la fait taire, passez votre chemin, cet article n’est pas pour vous.
Si vous pensiez que Face de moineau était un livre accumulant les clichés, vous n’avez encore rien vu! J’ai prêté ce livre à Tam-Tam. Notre amitié a failli ne pas y résister. Si si, je vous jure! Elle ne voulait plus me le rendre tellement elle l’avait aimé… Bon, en réalité, elle a menacé de le brûler avant de me le jeter à la tête et me demandant ce qu’elle m’avait fait de mal pour mériter une chose pareille. Mais c’est tout comme!
De quoi parle SFALO? Si on en croit la 4ème de couverture, il est question de Jordan, de Lise, d’enfants qui jouent sous le soleil, d’un tramway dans le lointain et d’un secret fort suspect.
Publicité mensongère mes amis! Déjà, le livre commence à Londres, où je sais de source sûre qu’il n’y a ni tramway ni soleil! Lise est actrice, et maladivement timide (ce qui est ballot pour monter sur scène vous avouerez, mais passons), elle n’est pas non plus très rigolote. D’ailleurs, elle-même se trouve étrangement mélancolique pour une jeune fille de son âge. Selon mon avis hautement médical, Lise est tout simplement dépressive (quand elle ne retient pas ses larmes, c’est parce qu’elle pleure), mais parler de mélancolie c’est plus glamour pour son aura mystérieuse.
Mais attention hein, Lise n’est pas une fille de mauvaise vie! Contrairement à ce que son métier pourrait laisser penser, elle ne se laisse pas séduire comme ça (c’est bien connue, actrice = prostituée, non?)… D’ailleurs, Ashley (j’ai bien vérifié, c’est un garçon, pas d’amours saphiques ici), son partenaire de scène s’y casse le nez régulièrement. Il la traite délicatement de petite sauvageonne qui doit être conquise par la force. Pensez, une femme qui lui résiste, à lui, le jeune premier? C’est qu’elle doit secrètement désirer ses attentions, pas d’autre explication possible. Insistons, je ne vois que ça, rien de mieux qu’un bellâtre lourdement insistant pour faire se pâmer d’émoi une jeune fille en fleur, non?
Et puis, un soir, une amie la traîne de force en boite (mais une boite très classe, où on danse la valse, pas un lieu de débauche où on risquerait de danser collé-serré), et là, son regard est magnétiquement attiré par un bel homme de l’autre coté de la salle (oui, la boite en question est aussi très bien éclairée et quasi-vide, pour que son champ de vision soit bien dégagé). Lequel homme débarque à sa table environ 15 secondes plus tard, et ô surprise, c’est un grand mécène de théâtre, que TOUS ses collègues connaissent sauf elle. Mais comme Lise est une sublime beauté pure et innocente, il n’a d’yeux que pour elle et snobe les autres. Son nom? Vous mourrez tous d’envie de savoir son nom bien sur! C’est Jordan Hayes voyons!!!
Comment, vous ne savez pas qui est Jordan Hayes?
Eh bien Lise non plus, mais rassurez-vous, elle ne va pas tarder à le savoir… Sauf qu’elle s’en fiche notre Lise, elle est pure et innocente, on vous l’a déjà dit. Elle n’est pas impressionnée par l’argent, et elle trouve que Jordan Hayes a le regard froid. D’ailleurs, elle nous précise bien lourdement que Jordan Hayes ne représente rien pour elle. C’est marrant parce que personnellement, les types que j’ai rencontré 2 minutes plus tôt dans une boite de nuit représentent toujours beaucoup de choses dans ma vie. Tout de suite. Dès le 1er regard froid échangé.
Prenez note d’un détail d’une importance fondamentale pour la compréhension de la suite : Jordan Hayes ne s’appelle pas Jordan mais Jordan Hayes. Il faut attendre environ la page 100 pour que Lise cesse de faire référence à ce cher Jordan autrement que par son nom et prénom réunis (elle a quand même quelques petites rechutes dans les 50 dernières pages, je vous rassure). Pour une question de confort, et par pitié pour mes petits doigts fatigués, je parlerai désormais de JH!
Notre héros rencontre donc notre héroïne. Mais le courant ne passe pas trop entre eux. Pourtant, 15 minutes plus tard, dans le couloir devant les toilettes (sexy!), JH embrasse Lise puis s’en va, on ne sait pas bien pourquoi. Lise est étrangement troublée, elle ne sait pas bien pourquoi non plus. C’est fantastique, tout le monde est perdu, Lise, le lecteur, le type bourré du bar (mais lui il cherchait les toilettes). Dès la page/jour suivant, quelqu’un sonne à la porte de Lise, et quelle surprise, c’est JH! Ne me demandez pas comment il a eu son adresse, c’est un homme riche après tout… JH veut emmener Lise dîner le lendemain, Lise ne veut pas. JH insiste lourdement (la harcèle et lui ordonne d’obéir), Lise finit par céder. Tension, suspense…
C’est là, qu’arrive le grand moment d’anthologie du livre selon moi… JH débarque chez Lise pour l’emmener dîner, « grand, brun, très élégant dans un costume fauve de soie sauvage. L’étoffe brillait dans la nuit ». Donc, un costume orange fluo. Bien. Et moi, malheureuse lectrice que je suis, qui entretenait encore quelques lambeaux d’espoir que cette histoire puisse être sauvée! Après avoir amèrement pleuré la perte de mes illusions, je décidais de me sacrifier pour la science : il fallait finir ce livre à tout prix!
Levons au passage le voile sur le mystère de la voiture sur la couverture : il s’agit de toute évidence de la Ferrari noire de JH (l’illustrateur était daltonien), et comme JH est un type épatant, sa Ferrari se plie pour rentrer dans sa valise, puisqu’il l’a à Londres ET à San Francisco 3 jours plus tard. Car, oui, nos héros dînent, tout se passe bien, mais à peine rentrée chez elle, Lise reçoit un coup de fil de sa cousine (une pouffe menteuse et sans cœur apparemment), leur grand-père est gravement malade, elle doit rentrer à San Francisco. Ah, enfin, on voit poindre le tramway à l’horizon!
C’est que le grand-père de Lise est très riche, il possède un journal, là-bas, en Amérique, et notre Lise, pure et innocente qu’elle est, ne voulait pas vivre à ses crochets. Elle a donc renoncé à tout pour vivre sa vocation sur les planches en Angleterre. De retour au bercail, le grand-père est en voie de guérison, et voilà que débarque JH, qui, en fait, est lui aussi originaire de San Francisco, et qui, coïncidence incroyable, connaît la cousine/pouffe, laquelle s’imagine d’ailleurs qu’il va l’épouser parce que JH aimerait bien racheter le journal du grand-père.
Vous suivez tout bien? Donc, Lise croit que JH s’est moqué d’elle, parce qu’il est quasiment fiancé à sa cousine (si la pouffe menteuse le dit, c’est forcément que c’est vrai non?). JH ne dément pas, mais insiste pour emmener Lise partout avec lui (continue à donner des ordres comme un épouvantable dictateur macho de seconde zone), et cette chère enfant ressent des choses dans le dedans d’elle-même, des choses indéfinissables et très intenses, elle passe d’ailleurs sa vie à pleurer. C’est une glande lacrymale sur pattes.
Et là, attention, préparez vous pour le retournement de situation de folie : le grand-père fait une vilaine rechute, et, de son lit d’hôpital, il décide que Lise doit lui promettre d’épouser JH, LA MAINTENANT TOUT DE SUITE, les papiers sont déjà prêts, y a plus qu’a signer. Et Lise, croyant que son papy va mourir, dit oui (cruche).
Pouf, miracle, la voilà mariée avec JH!
Bilan de la situation, Lise est épouvantablement malheureuse (verse quelques larmes de circonstance tout à fait hors de caractère pour elle). Elle aime JH mais est persuadée qu’il ne l’a épousée que pour prendre le contrôle du journal de son grand-père. En plus, c’est un sale type qui a plusieurs maîtresses : non seulement il était presque fiancé à la cousine (menteuse notoire mais peu importe, si elle se dit fiancée, c’est que cela doit être vrai), mais en plus, Lise l’a vu déjeuner avec une autre femme, il lui a même fait un sourire, alors si ça c’est pas de la preuve franchement je ne sais pas ce qu’il vous faut! CQFD, JH voulait seulement l’ajouter à son tableau de chasse, Lise voulait rester pure et innocente, et voilà qu’ils sont mariés, enfer et damnation!
Et ça tombe bien, car JH, lui, n’a qu’une idée en tête : consommer le mariage. Lise ne veut pas? Peu importe, il passe en mode Tarzan échappé d’un film porno : tu dis non, mais je sais que tu en as quand même envie, ne mens pas, hop, viens ici, de toute façon on est mariés, tu ne peux pas me résister. Enfin, ne te contente pas de rester là comme une poupée gonflable, s’il-te-plaît, un peu d’action quand même! Le livre a effectué un léger vol plané à travers la pièce à ce moment de la lecture… Mais j’avais un défi à relever, je suis allée le ramasser au bout d’un moment, après quelques exercices de respiration pour me calmer.
Et comme à ce stade, j’étais à 15 pages de la fin, la tension se faisait insoutenable : comment l’auteur allait-elle s’en sortir??! Eh bien, je vous rassure, en adéquation avec le reste de l’histoire, tout est amené très subtilement. En l’espace d’une seule conversation, après une 37ème dispute stérile, Lise finit par dire à JH qu’elle l’aime (on se demande bien pourquoi), ce à quoi il lui répond que lui l’a aimée au 1er regard (et c’est pour ça qu’il n’en a jamais rien dit évidemment), la femme du déjeuner c’était sa sœur, le journal, il l’avait acheté avant leur mariage, finalement le papy ne meurt pas, tout se résout par magie, et ils vécurent heureux, etc, etc… Travelling d’un couple qui s’embrasse sur une terrasse au bord de la mer sur fond de coucher de soleil orange et rose. FIN.
Ouf! Même pris au 72ème degré, il m’a fallu un cœur bien accroché pour venir à bout de ce livre. Il faut l’admettre, parfois, un navet n’est rien de plus qu’un navet (moisi en prime). Une fois n’est pas coutume, mon conseil d’aujourd’hui sera : si jamais SFALO croise votre route, surtout ne vous arrêtez pas!
Chi-Chi
je crois que je ne me remettrais jamais de cette couverture !
c’est marrant cette chronique ça doit faire la 4ème fois que je tombe dessus et que je la relis car je me souviens jamais du contenu du bouquin ! Et à chaque fois je rigole toujours autant ! Merci Chi-Chi !
:) j’avoue, c’est un de mes favoris et je le reposte souvent… Il y en a d’autres dans le genre, si jamais tu veux te changer les idées!
Tu participes au challenge de Cess avec ce bouquin non ? Parce que dans le genre couverture moche …. :-) Je relis toujours cette chronique avec le sourire aux lèvres (et le souvenir navré de quelques lectures harlequinesques du même genre…).
Arrgh, je m’aperçois que depuis que je me suis créé un « gravatar » sur WordPress il veut à tout prix me faire signer « Laurielire » et plus Laurie. Grrrr … vilain ! Laurie n’était plus disponible alors j’ai pris un autre pseudo, mais je pensais pouvoir écrire ce que je voulais quand même !! censure !! :-))
Censure et scandale même! T’en fais pas, on t’a bien identifiée.. ;)
Quand au challenge de Cess, oui, of course, mais cela qualifie presque 1/4 des livres chroniqués vraiment, l’embarras du choix!
Pingback: Hiawatha et Pandora | In need of prince charming