Celui-là est beaucoup moins connu que Jane Eyre, mais pour moi, il s’assimile tout à fait à ce roman classique et mériterait d’être tout aussi bien connu. Precious bane, traduit en français sous le titre de Sarn, est un roman de Mary Webb paru en 1924.
Sarn, c’est le nom de l’étang auprès duquel se déroule notre histoire, c’est aussi le nom du domaine de la famille Sarn, fermiers de la région. C’est l’histoire d’une Angleterre campagnarde du début du 19ème siècle, superstitieuse, à l’ignorance teintée de violence, dans un temps qui paraît presque suspendu, hors de la réalité tant il est figé dans ses certitudes.
L’histoire est dominée par la figure de Gédéon, le fils de famille qui hérite de la ferme, personnage caricatural dans sa dureté cruelle, son ambition dévorante et sa cupidité aveugle, qui règne en maître sur la vie de la mère et de sa sœur, Prue.
Voila un tableau qui ne serait guère réjouissant, et un livre guère adapté à ces lieux, s’il n’y avait Prue.
Et puisqu’il s’agit de ne pas perdre de vue qu’ici, on parle d’amour, il existe bien sûr un élément romantique ! La douceur de Prue et sa volonté seront récompensées par l’arrivée d’un nouveau personnage, Kester Woodseaves, qui saura passer outre les apparences, sa malformation, les préjugés, son « héritage familial », et l’opposition de Gédéon!
Le livre est écrit dans une langue fine et délicate qui n’est pas sans rappeler le naturalisme de George Sand, décrivant avec une grande poésie la nature autour de l’étang de Sarn, la campagne anglaise et ses mœurs teintés de superstitions, les animaux et la vie fermière, la cruauté des sentiments humains et la folie qui s’empare de certains…
Le titre anglais, Precious bane, vient d’un extrait du poème Paradise Lost de John Milton, et l’ambition de Mary Webb était bien de montrer, dans un poème en prose, l’affrontement entre le bien et le mal, réduits à l’échelle humaine.
Mais comme Jane avant elle, Prue est un personnage moralement très solide, ce qui lui permet de survivre à la descente aux enfers dans laquelle l’ambition de son frère entraîne la famille Sarn. Mary Webb fait de Prue une femme qui cherche à se libérer dans l’apprentissage de la lecture, puis de l’écriture, parée par sa volonté de qualités traditionnellement masculines, déterminée tout en rêvant d’amour, ce qui en fait une vraie romantique.
Sarn est donc un roman envoûtant, où la violence du monde quotidien apparaît, dans le flou d’une campagne perdue dans la brume. C’est un roman témoin de son époque, où il est question de la vie difficile des paysans et des superstitions populaires. Mais surtout, c’est un roman où il est question d’amour ! L’amour de Prue pour sa famille, pour la nature, et enfin pour Kester, qui saura voir au-delà des apparences et des préjugés pour apprécier la beauté de son âme.
Enfin c’est un roman où se mélangent deux histoires, celle de Prue et de Gédéon, le frère et la sœur que tout oppose, le jour et la nuit, la bonté et la cupidité en une symbolique du bien et du mal…
Chi-Chi